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Carte cadeau made in France : les débuts chaotiques de la Carte française

Cette carte cadeau permettant d’acheter des produits fabriqués en France souffre, pour l’heure, de nombreux dysfonctionnements. Explications.

C’est une tendance lourde, encore amplifiée par la pandémie et sa démonstration des effets délétères de la mondialisation : nous sommes de plus en plus nombreux à souhaiter privilégier les achats de produits fabriqués dans l’Hexagone. La Carte française part de ce constat : vendue entre 30 et 150 € selon le souhait du client, elle permet de faire ses achats dans 150 boutiques et 380 sites vendant du made in France. Plus précisément, plus de 70 % du catalogue de ces entreprises doit l’être, au sens du Code des douanes (dont les subtilités sont souvent déroutantes). 25 000 exemplaires ont été vendus en 2021. La Carte française se rémunère via une commission sur les achats, justifiée par la visibilité et la possibilité de conquérir de nouveaux clients qu’elle offre à ses partenaires.

L’idée semble donc pertinente. Mais dans les faits, l’utilisation de la carte est un parcours semé d’embûches. Pour preuve, impossible de joindre par téléphone un service après-vente submergé par les appels. Dès la page d’accueil du site, un encart suggère, « en raison d’un grand nombre de demandes en SAV », de privilégier le contact par mail et annonce un délai de réponse d’environ une semaine.

Plusieurs obstacles empêchent un usage normal de cette carte. Revue de détail.

Pour l’utiliser dans un magasin, et non sur un site, il faut avoir une carte à puce physique. Quand d’autres acteurs proposent simplement des bons d’achat dont le commerçant scanne le code-barres, cette solution dont l’impact environnemental n’est pas négligeable, semble peu cohérente avec le souhait de privilégier les achats durables. En particulier, les comités d’entreprise, qui sont les premiers acheteurs de la Carte française, peuvent hésiter à faire fabriquer des dizaines ou des centaines de cartes pour un usage a priori ponctuel. Par ailleurs, cette particularité n’est pas systématiquement annoncée aux clients.

Le montant des achats en ligne est limité, du moins pour la version 1 de la carte, soit la majorité de celles en circulation (voir encadré). À ce sujet, les dirigeants de la Carte française invoquent une directive européenne qui limite les paiements par carte prépayée à 50 €. En réalité, le cœur du problème, c’est surtout que, quel que soit le montant de la Carte française, on ne peut pas compléter avec un autre mode de paiement. Ceux qui veulent aller au-delà doivent convertir leur carte en bons d’achat qu’ils déduiront du total de la commande (via une option type « code promotionnel ») au moment de régler leur panier. Cela nécessite une démarche auprès du service consommateur alors que l’utilisation d’une carte cadeau est en général beaucoup plus simple et immédiate. Surtout, ce n’est qu’après avoir constaté l’échec de son achat que le client contacte ce service et obtient l’explication. Combien de destinataires de Carte française, rebutés par cette complexité (1), renoncent à cette démarche et laissent le bénéfice de leur carte à cette société ? Un nombre non négligeable sans doute puisque, la carte leur ayant très généralement été offerte, ils n’en seront pas de leur poche.

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Constatant l’impossibilité de dépasser le montant de la carte, certaines personnes tentent de trouver sur les sites des produits permettant de rester dans les clous (frais de livraison compris). L’exercice se révèle contraignant et surtout, il est rarissime de tomber sur la somme exacte. La société qui commercialise la Carte française empoche la différence, ce qui est injustifiable.

Une appli est proposée pour payer ses achats (si l’on a la version 2 de la carte) mais elle souffre de nombreux bugs, si bien qu’elle obtient des notes pitoyables sur les stores : 2/5 sur l’Apple Store et 1,5/5 sur Google Play.

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L’appli de la Carte française.

Plus généralement, le site est très peu explicite, si bien que de nombreux clients s’arrachent les cheveux à essayer de comprendre comment utiliser leur carte. Ainsi, la première option proposée est de télécharger l’appli alors qu’elle n’est compatible qu’avec la version 2, qui ne concerne qu’une minorité des détenteurs. Il existe bien, plus bas sur la page, une interpellation : « Vous avez une Carte française de 1re génération ? », mais pour savoir si c’est le cas, il faut se référer aux visuels des deux versions de cartes présents sur le site, ce qui ne coule pas de source. Autre exemple, il n’est à aucun moment spécifié que, pour utiliser la carte sur un site marchand, il faut procéder comme s’il s’agissait d’une carte bancaire. Pas évident à deviner, habitués que nous sommes à trouver une rubrique particulière sur les pages de paiement.

Tant de dysfonctionnements ont de quoi décourager le plus épris de patriotisme économique des consommateurs. Dommage, l’idée était pourtant judicieuse, mais cela ne suffit pas. Reste à espérer que des améliorations substantielles seront apportées. « Wait and see », comme ne disent pas ‒ on l’espère ‒ les tenants du fabriqué en France.

Deux versions de la Carte française cohabitent

Une récente directive européenne, édictée dans le cadre de la lutte contre le blanchiment des capitaux et la lutte contre le terrorisme, limite les paiements réalisés en ligne avec une carte prépayée anonyme à 50 €. Pour que leur outil ne soit plus contraint par ce seuil, les dirigeants de la Carte française ont imaginé une version 2. Selon les explications qu’ils nous ont livrées, la commercialisation, prévue pour les fêtes de Noël 2021 ‒ 90 % du chiffre d’affaires est acquis en novembre et décembre ‒ a pris du retard à cause de la défaillance d’un fournisseur. Si bien que cette nouvelle version n’a pu être mise en vente qu’à partir de fin décembre. Mauvais timing… Différence fondamentale avec la version 1, celle-ci n’est plus soumise aux règles de plafonnement : si on souhaite faire un achat supérieur au montant de la carte, il faut la recharger. Mais cela nécessite de la désanonymiser en fournissant un scan de pièce d’identité et un selfie. Encore des complications qui, si elles ne sont pas insurmontables, tranchent avec la simplicité d’usage des bons cadeaux à laquelle les consommateurs sont habitués.

(1) Ou par l’impossibilité pure et simple d’acheter, mésaventure survenue à une salariée de Que Choisir confrontée à une « rupture de stock » de bons d’achat. Une autre, ayant une carte de 50 € et souhaitant acheter sur une boutique qui ne proposait des bons d’achat que par tranches de 20 €, a dû rembourser 10 € à la Carte française. Tout sauf simple !