Couverture des soins : la Grande Sécu, une option parmi d’autres
Les tarifs des complémentaires santé ne cessent de grimper. Il devient nécessaire de revoir notre système de prise en charge des soins. Quatre scénarios sont possibles.
Tarifs de complémentaires santé en roue libre, surcoûts liés aux frais de gestion, populations fragiles exposées à de lourds restes à charge : notre système de prise en charge des soins, axé sur le copaiement de l’assurance maladie et des complémentaires santé, montre d’inquiétants signes d’essoufflement. S’il a fait ses preuves avec un reste à charge moyen le plus faible de l’OCDE, c’est au prix de réalités moins flatteuses. Dans son tout récent rapport, le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (HCAAM) explore quatre scénarios d’évolution.
Le fantasme de la « Grande Sécu »
Celui de la « Grande Sécu » a fait couler beaucoup d’encre. Dans cette hypothèse, l’assurance maladie prend en charge la totalité des soins, y compris ce qui ne l’est pas aujourd’hui : tickets modérateurs, franchises et forfaits hospitaliers. Une telle suprématie a le mérite de la simplicité. Pour les assurés, l’âge n’a plus l’effet catastrophique qu’il a actuellement : finie l’envolée de cotisations, aggravée par la suppression de la participation employeur au moment de la retraite ! Cerise sur le gâteau, la bascule se ferait à coût constant : les 19 milliards de nouvelles dépenses sont compensées par la disparition des primes d’assurance. Des économies sont même envisageables, puisqu’il n’y a plus qu’une seule file de gestion des remboursements. Les complémentaires santé, cantonnées aux prestations exclues du champ de la Sécu, prennent notamment une part des dépassements d’honoraires, dont le remboursement par l’assurance maladie à leur niveau actuel est « inconcevable » pour le HCAAM. Selon ses projections, toute la population, mais surtout les personnes âgées modestes, bénéficie d’une baisse de son reste à charge dans ce scénario.
D’autres pistes ont été creusées. Comme le simple colmatage des ratés actuels. Pas besoin de tout repenser ‒ mais alors, les frais de gestion inutiles perdurent : il suffit de contenir les restes à charge trop lourds par la forfaitisation des tarifs hospitaliers et par des mécanismes de plafonnement des frais. Le HCAAM évoque même un « bouclier sanitaire », soit un seuil de dépenses à partir duquel tout est pris en charge par l’assurance maladie. Bonne idée, mais dont la portée est limitée par les dépassements d’honoraires… Pour éviter le coup de bambou à la retraite, des contrats complémentaires à conditions avantageuses pour les anciens salariés sont souhaitables, de même qu’une plus grande ouverture de la complémentaire santé solidaire à partir d’un certain âge.
L’Alsace-Moselle en exemple
Souvent cité comme modèle, le régime d’Alsace-Moselle revient à pousser jusqu’au bout la logique de la complémentaire santé obligatoire telle qu’elle s’applique déjà, mais en la déconnectant de l’emploi pour la généraliser. En Alsace-Moselle, la gestion est centralisée, et le taux de prélèvement, unique. C’est un système très solidaire. La complémentaire obligatoire peut s’articuler autrement, détaille le HCAAM, en s’appuyant sur une multiplicité d’opérateurs, à condition de les contraindre à un panier défini de prestations. Si l’objectif est de neutraliser l’effet « âge » et d’empêcher la rupture à la retraite, alors l’encadrement des primes s’impose aussi, souligne le HCAAM. Des pays ayant opté pour cette architecture modulent a minima, en réservant par exemple un tarif d’adhésion préférentiel jusqu’à 26 ans. Compatible avec notre actuelle organisation, la complémentaire obligatoire en garde un défaut majeur : la complexité de la coexistence avec l’assurance maladie, et les frais de gestion inutiles.
Dernière option, le cloisonnement total entre panier de soins public, couvert à 100 % par l’assurance maladie, et panier de soins privé, pris par les complémentaires. La nature du système tient alors au contenu de chacun des paniers. Il peut être très solidaire, comme très inégalitaire ! Dans l’hypothèse où les soins aujourd’hui remboursables (consultations, hospitalisations, médicaments) intègrent le panier public, les restes à charge actuellement les plus lourds seraient atténués. Autre avantage, le copaiement et les surcoûts qui en découlent disparaissent, les complémentaires gagnent en pouvoir de négociations avec les établissements et professionnels de santé. Inconvénient, la liberté de s’assurer, ou non, fait le lit de potentielles inégalités.
Quel que soit le scénario, le HCAAM renvoie malheureusement à plus tard le casse-tête des dépassements d’honoraires. Or ils pèsent lourdement dans les restes à charge, et constituent une inconnue déterminante pour l’évolution de notre système de soins.