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Ehpad : comment attaquer en justice

De nombreuses familles saisissent la justice à la suite de la médiatisation de la maltraitance dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Quelles procédures sont envisageables ?

La sortie du livre Les fossoyeurs, de Victor Castanet (Fayard), a braqué les projecteurs sur la maltraitance dans les établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes (Ehpad). Des familles décident d’intenter des actions en justice. Mais quelle procédure choisir et quels objectifs se fixer ? Anne-Sophie Ramond, avocate spécialisée en droit de la responsabilité et en action de groupe, nous éclaire.

Au pénal

La responsabilité pénale des Ehpad peut être engagée sur le fondement de l’article 121-2 du Code pénal (« Les personnes morales […] sont responsables des infractions commises […] par leurs organes ou représentants »). À la lumière des récentes révélations, l’homicide involontaire, la mise en danger de la vie d’autrui ou encore la non-assistance à personne en danger (art. 221-6, 223-1 et 223-6 du code précité) pourraient être invoqués. Dans le passé, les plaintes déposées sur ces bases juridiques ont, toutefois, reçu un accueil mitigé. Certaines ont donné lieu à instruction et condamnation, parfois à des peines d’emprisonnement. En 2011, par exemple, le tribunal correctionnel de Bordeaux (33) a infligé quatre mois de prison avec sursis et 10 000 € d’amende pour maltraitance à une ex-directrice de maison de retraite. Plusieurs personnels avaient témoigné de soins délivrés avec un manque d’hygiène ou accompagnés de violences. À Mâcon (71), en 2018, un agent hospitalier a été reconnu coupable de maltraitance. Il avait été filmé en train de gifler une pensionnaire atteinte de la maladie d’Alzheimer. Mais beaucoup de dossiers n’ont jamais abouti. C’est le cas de la procédure ouverte, en 2008, par le parquet de Meaux (77), à la suite du reportage sur une structure francilienne diffusé dans l’émission « Les infiltrés » (France 2). On peut aussi citer les plaintes de familles de proches décédés du Covid en Ehpad qui n’ont donné lieu à aucune mise en examen.

Au civil

Les actions menées au civil sont plus rapides et davantage couronnées de succès. Ce que l’on recherche ici, c’est seulement une indemnisation (dommages­ intérêts) du préjudice subi par les victimes ou, indirectement, par leur famille. La responsabilité civile peut être mise en cause pour non-respect de dispositions du contrat. Orpea s’engage ainsi expressément à fournir un confort hôtelier, une restauration et des soins de qualité. Or, selon l’enquête de Victor Castanet, ces services n’auraient pas été vraiment rendus. Il est possible de soulever la responsabilité contractuelle (art. 1231-1 du Code civil). La maltraitance ou le défaut de soin du pensionnaire sont aussi des faits dont le dommage (matériel ou moral) entraîne réparation. La famille pourrait par ailleurs se prévaloir d’un préjudice moral (souffrance d’avoir assisté au dépérissement du proche maltraité). Me Anne-Sophie Ramond conseille d’agir à la fois au pénal et au civil : « Les éléments obtenus dans l’une des procédures font en général progresser l’autre. »

Action de groupe

Plusieurs plaignants se regroupent. Cette procédure n’est pas exclusive des autres. Ils peuvent toujours agir individuellement (attention à la prescription, ici, de trois à six ans), puis se tourner vers une action collective. Les contractants directs de l’Ehpad ont la possibilité de donner mandat à une association, afin qu’elle exerce une action en représentation conjointe (art. L. 622-1 du Code de la consommation) au pénal ou au civil. Quant à une éventuelle action de groupe que pourrait lancer une association agréée de consommateurs contre un ou plusieurs Ehpad, même si cette procédure fait partie de l’arsenal juridique français depuis 2014, elle semble hélas difficilement envisageable car n’étant pas applicable au périmètre des préjudices indemnisables dans le cadre du scandale des Ehpad.