Redevance pour copie privée : et maintenant, le cloud
La redevance pour copie privée gagne du terrain. Après les disques durs, les clés USB ou les smartphones, cette taxe devrait bientôt toucher les services de stockage en ligne (cloud). Une récente décision de justice européenne va en tout cas dans ce sens.
Depuis 1985, tous les supports d’enregistrement neufs sont soumis à une redevance qui rémunère les artistes en contrepartie des copies de leurs œuvres que les consommateurs réalisent à titre privé. Née à l’époque des VHS, la redevance a évolué avec les supports, touchant successivement les CD, les DVD, les disques durs, puis les smartphones, les tablettes tactiles, les box Internet et même, depuis peu, les smartphones reconditionnés. Concrètement, lorsque le consommateur achète l’un de ces produits, quelques euros vont dans la poche de la Sacem, l’organisme qui collecte et répartit les droits d’auteur. Et ce même si les pratiques d’aujourd’hui ne justifient plus vraiment cette taxe, puisqu’on ne copie plus de films ou de musique sur des CD vierges : le streaming audio et vidéo (Deezer, Netflix, etc.) s’est aujourd’hui imposé. Contestée depuis des années par l’UFC-Que Choisir, défendue bec et ongles par les ayants droit (qui touchent grâce à elle près de 300 millions d’euros chaque année), la redevance pour copie privée vient de marquer un nouveau point : les services de stockage en ligne (cloud) tombent dans son giron.
Une décision de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) vient en effet de juger que les services de stockage en ligne peuvent être considérés comme « supports de stockage » et que la redevance pour copie privée permet d’offrir la compensation équitable à laquelle les ayants droit peuvent prétendre (1). Sollicitée dans le cadre d’une affaire opposant l’Austro-Mechana (la Sacem autrichienne), qui réclamait le paiement de la taxe, à Strato AG, un prestataire de cloud, la CJUE remet donc en question un premier verdict qui avait donné raison au prestataire de cloud.
Modalités encore floues
Reste à savoir comment cette redevance sur les services cloud sera perçue. Théoriquement, la redevance pour copie privée est due dès lors que des œuvres protégées sont reproduites. Seulement voilà, les consommateurs n’utilisent pas forcément le cloud pour stocker des films ou de la musique, mais plutôt pour accéder à des documents personnels (photos, justificatifs de domicile, fichiers divers, etc.). La décision de la CJUE laisse donc à chaque pays européen une marge de manœuvre pour organiser la perception des fonds, qu’elle suggère de faire reposer au besoin sur le fabricant des serveurs sur lesquels sont stockés les fichiers, ou bien sur l’importateur de ce matériel, ou bien encore sur le fournisseur de service (Dropbox, OVH, Amazon, Apple, Microsoft, etc.). Les modalités sont encore floues, mais une chose est sûre : quand un maillon de la chaîne se fera taxer, il répercutera cette taxe sur le maillon suivant, qui répercutera sur le maillon suivant, qui répercutera sur… les utilisateurs finaux.
(1) Affaire C‑433/20, arrêt du 24 mars 2022.