Formation à distance : le Centre européen de formation sous le feu des critiques
Le directeur général du Centre européen de formation (CEF) comparaissait jeudi 9 juin devant le tribunal de Lille pour des pratiques commerciales trompeuses, accusé notamment d’avoir survendu des formations et mis en place des crédits sans le dire. Les victimes sont très nombreuses. L’UFC-Que Choisir de Lille s’est portée partie civile.
En 2018, Sophie, vendeuse, cherche à changer de métier. Alors, lorsqu’elle voit à la télévision une publicité du Centre européen de formation (CEF) proposant une formation d’assistant-vétérinaire à distance, elle décroche son téléphone. « Je cherchais juste à obtenir des renseignements, mais la vendeuse m’a dit qu’il restait très peu de places, que je devais me décider vite et que cette formation me permettrait de trouver facilement un emploi. Elle a tellement insisté qu’elle a réussi à me convaincre de signer un contrat. » Comme Sophie ne dispose pas des 2 700 € que coûte la formation, la vendeuse lui propose, à la place d’un paiement comptant, de verser 137 € par mois. « Une fois le contrat, signé, j’ai bien reçu les livres et le matériel pédagogique, mais au bout d’un certain temps, je me suis aperçue que l’accompagnement par un coach qui m’avait été promis était inexistant. Surtout, quand j’ai commencé à chercher des stages dans des cliniques vétérinaires, on m’a ri au nez, m’expliquant que cette formation ne valait rien. J’ai décidé d’arrêter les cours, mais j’ai laissé les prélèvements s’effectuer pour ne pas avoir de problème. » Émilie, elle, les a stoppés dès le deuxième mois, après avoir elle aussi compris que cette formation ne lui servirait à rien : « Le CEF m’a alors appelée et m’a envoyé des SMS plusieurs fois par jour pour que je paie. Il y a encore quelques jours, leur service de recouvrement m’a recontactée et a essayé de me faire peur. »
Sophie et Émilie faisaient partie des victimes présentes le jeudi 9 juin sur les bancs du tribunal de Lille afin d’écouter le directeur général du Centre européen de formation répondre des pratiques commerciales trompeuses dont est accusée sa société. En 2020, après avoir reçu de nombreuses plaintes, la direction départementale de la Protection des populations (DDPP) du Nord avait lancé une enquête à l’encontre de cette société basée à Villeneuve-d’Ascq, puis avait transmis ses conclusions à la justice. Elle reproche notamment au CEF d’avoir mal informé ses clients sur le contenu réel de certaines formations. L’une d’entre elles est notamment visée : celle d’assistant-vétérinaire. Alors que le CEF laissait entendre aux candidats que le certificat qu’ils obtiendraient leur permettrait d’assister les vétérinaires, y compris lors de certains actes médicaux, comme des prises de sang, des pansements ou des tatouages, il n’en était rien. Et pour cause : le métier d’assistant-vétérinaire, qui vise à préparer au métier de vétérinaire, est réglementé et ne se prépare que dans des écoles dédiées. La formation du CEF préparait en réalité au métier d’auxiliaire vétérinaire de niveau 3, accessible sans aucun diplôme et peu recherché par les cliniques vétérinaires.
Le CEF proposait par ailleurs une préparation au concours d’agent de la DGCCRF (la Répression des fraudes), qu’elle annonçait comme très prisée. Sauf que depuis 2009, ce service de l’État ne recrute plus que 5 personnes par an, et pas sur concours.
« Vous risquez de passer à côté de la chance de votre vie »
La DDPP reproche également au CEF ses méthodes de vente insistantes, destinées à faire souscrire à tout prix des contrats à des personnes qui n’avaient pas forcément appelé pour cela, à l’instar de Sophie. Une pratique que confirme une ancienne salariée présente dans la salle d’audience : « Chaque télévendeur devait vendre au moins 25 formations par mois. Pour cela, on nous incitait à appuyer là où ça fait mal, à dire aux personnes que si elles ne signaient pas, elles risquaient de passer à côté de la chance de leur vie. Et quand l’une d’entre elles se rétractait, on recevait une alerte et on devait la rappeler jusqu’à ce qu’elle change d’avis. »
Dernier grief pointé par la DDPP : le fait pour le CEF de proposer des crédits affectés sans en respecter le cadre légal. En effet, dans le cas où les gens n’avaient pas les moyens de payer au comptant ou en 3 fois sans frais les 2 500 € que coûtait en moyenne une formation, le CEF leur proposait d’échelonner leurs paiements, sans leur indiquer à aucun moment qu’ils souscrivaient un crédit à un taux de 5,5 % ni vérifier leur solvabilité. Certains se sont retrouvés dans des difficultés financières inextricables à cause de ce crédit caché.
150 000 € d’amende requis
La stratégie mise en place par le CEF est d’autant plus gênante que les victimes étaient souvent des personnes vulnérables. « Parmi elles, beaucoup étaient dans des situations professionnelles chaotiques. Il y avait aussi des jeunes en décrochage scolaire, des personnes malades ou en dépression qui avaient fondé beaucoup d’espoir dans cette formation. Mais alors qu’elles pensaient entrevoir enfin le bout du tunnel, elles se sont retrouvées sans rien. Non seulement elles ont dépensé beaucoup d’argent, mais en plus certaines ont totalement perdu confiance en elles et ne sont pas près de se relancer dans une autre formation », se désole à la barre Me Sadek, une avocate lilloise qui défend 22 victimes.
De son côté, le dirigeant de l’entreprise reconnaît quelques erreurs et approximations, mais réfute toute stratégie d’entreprise destinée à multiplier les contrats. Il assure aussi avoir modifié ses processus pour éviter que ce genre de problème se reproduise. Si 150 000 € d’amende et la publication du jugement ont été requis à l’encontre du CEF, le jugement a été mis en délibéré au 7 juillet.
D’autres procès en vue ?
Au vu du très important nombre de victimes, la partie civile du procès a été renvoyée au 20 janvier 2023. Seules les personnes s’étant déclarées au plus tard à l’audience du 9 juin peuvent prétendre à des dommages et intérêts dans le cadre de cette procédure. Toutefois, il existe d’autres voies pour obtenir réparation. Qui plus est, rien ne dit que de nouvelles procédures ne seront pas lancées à l’avenir. Le CEF n’en a certainement pas fini avec la justice.