Billet de notre Président national : fracture sanitaire, des médecins faussent nos analyses
Il y a deux semaines, l’UFC-Que Choisir a dévoilé sa cartographie de l’accès des usagers aux généralistes, ophtalmologues, pédiatres et gynécologues. Le diagnostic est sans appel : la proportion des déserts médicaux s’agissant des médecins aux tarifs de la sécurité sociale est alarmante, particulièrement pour les spécialistes. Notre étude a été très largement relayée dans les médias nationaux et locaux, et nos propositions visant à lutter contre cette fracture sanitaire ont été portées par de nombreux sénateurs dans le cadre des discussions sur le projet de loi de financement de la Sécurité sociale.
Si je ne peux que me réjouir que nos préconisations visant un pilotage plus efficace des installations pour lutter contre la fracture sanitaire fassent de plus en plus d’adeptes auprès des parlementaires, et que de nombreux médecins, à titre individuel ou dans le cadre d’associations de lutte contre les déserts médicaux, soutiennent le principe d’une régulation de l’installation, je déplore que certains syndicats de médecins et d’étudiants en médecine, s’arc-boutant sur la sacro-sainte liberté d’installation dont ils bénéficient, mènent une véritable cabale contre notre association sur les réseaux sociaux en évoquant de soi-disant « fake news » que nous propagerions… Je me dois de réagir aux attaques de syndicats corporatistes sur l’efficacité de notre proposition phare pour mettre fin à la fracture sanitaire : le conventionnement territorial des médecins.
En résumé, cette demande vise à ne pas permettre aux médecins – sauf cas tout à fait particuliers – de s’installer dans les zones où leurs confrères au tarif de la sécurité sociale sont déjà en nombre important. Pour les meneurs de la fronde contre notre association, cette mesure serait incompatible avec la situation de pénurie de médecins que nous connaissons, et la régulation de l’installation des médecins serait de toute façon inefficace, comme le prouveraient les résultats de régulations qui existent déjà pour d’autres professions médicales en France, ou les exemples étrangers.
Tout d’abord, c’est justement la situation de pénurie que nous connaissons qui justifie qu’on fasse tout pour réguler l’installation des médecins. On ne peut en effet pas compter sur une croissance exponentielle du nombre de médecins pour que des installations aient naturellement lieu là où l’offre de médecine est la plus dégradée. Dans un contexte de pénurie, de déserts médicaux largement étendus sur notre territoire, peut-on décemment accepter que les nouveaux médecins s’installent dans les zones où en proportion leurs confrères sont déjà nombreux ?
Ensuite, contrairement à ce que prétendent certains syndicats de médecins, la régulation des installations déjà à l’œuvre depuis 2012 pour les infirmières libérales, ainsi que pour les sages-femmes (à travers un dispositif conditionnant une arrivée à un départ dans les zones les mieux dotées) a largement contribué à renforcer l’égal accès à ces professions sur le territoire. Un récent article conclut ainsi que le zonage infirmier « a permis d’améliorer la répartition territoriale des infirmières libérales ». En outre, l’Assurance maladie souligne le fait que la répartition des infirmières et des sages-femmes libérales s’est améliorée entre 2016 et 2019, alors qu’elle s’est dégradée sur la même période pour les médecins généralistes.
Enfin, la régulation de l’installation des médecins serait un véritable échec dans les pays l’ayant mise en place… Cet argument a notamment été repris par le ministre-médecin de la Santé, François Braun, face aux sénateurs affirmant qu’il ne fallait « pas se tromper de traitement » et appelant à rejeter notre proposition de conventionnement sélectif, en s’appuyant notamment sur un rapport de la DREES de décembre 2021… Or, ce document de la DREES, tout en indiquant certes qu’il faut une politique globale, affirme au contraire que le bilan des expériences étrangères est plutôt positif : « Le résultat qui semble le plus positif est celui du Québec, où la régulation des installations est une des composantes d’une politique globale » indique-t-il. Je note également que la Cour des Comptes a également souligné que les politiques de pilotage des installations fonctionnent au Royaume-Uni ou encore aux Pays-Bas.
Alors que le gouvernement a de nouveau enclenché le 49.3 sur le PLFSS privant les députés, dont près d’une centaine soutiennent le conventionnement sélectif, d’un nouveau débat, j’espère quand même que le sujet reviendra rapidement devant le Parlement. Et que les Législateurs (gouvernement et parlementaires), plutôt que de céder aux sirènes du corporatisme, examineront avec objectivité les études et données sur le conventionnement sélectif… Car l’objectif est bien de faire primer l’intérêt majeur de la santé publique, qui commence par l’égal accès de tous aux soins !
Alain Bazot
Président de l’UFC – Que Choisir