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Affichage environnemental des aliments : l’expérimentation vire au pugilat juridique

La réflexion pour établir un affichage environnemental obligatoire en France suscite depuis 2 ans des débats houleux, qui prennent désormais une tournure juridique. Les promoteurs du Planet-Score s’interrogent sur le soutien apporté à son concurrent, l’Éco-Score, par l’Ademe (l’Agence de la transition écologique), alors que cette dernière pilote l’expérimentation autour du choix de l’étiquetage. De plus, l’emploi du terme « éco » enfreindrait la réglementation européenne.

Décidément, les logos coloriels suscitent bien des polémiques… Le Nutri-Score, qui note la qualité nutritionnelle des aliments, indisposait de nombreux industriels de l’agroalimentaire, lesquels avaient déclenché une véritable guérilla contre lui et les scientifiques qui le promouvaient. Élaborer un indicateur de l’impact environnemental des aliments, qui afficherait également des couleurs allant du vert au rouge, est prévu par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (Agec) de 2020. Or, ce travail s’annonce tout aussi agité, menant à un affrontement entre des structures qui, a priori, devraient œuvrer dans le même sens.

Ainsi, le Planet-Score, qui compte l’UFC-Que Choisir, France Nature Environnement, Agir pour l’environnement, Générations futures, ainsi que plusieurs instituts et syndicats du bio parmi ses soutiens, s’inquiète du positionnement de l’Agence de la transition écologique (Ademe). Ce score est l’un des deux candidats les plus sérieux pour servir de base au futur affichage environnemental. En face, son rival, l’Éco-Score, est porté par un autre collectif, dont Yuca (propriétaire de l’appli Yuka), OpenFoodFacts, Eco2 Initiative (propriétaire de l’appli Etiquettable) ou encore Marmiton.

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Les 2 logos Éco-Score et Planet-Score qui pourraient être affichés sur les emballages des aliments.

Pourtant, tout avait bien commencé. Ces deux scores se sont fixé pour objectif d’améliorer le « proto-score » initial proposé par l’Ademe, dénommé Agribalyse, basé sur la méthode d’analyse du cycle de vie. Mais les choix méthodologiques ont vite divergé, comme nous l’avions relaté. En résumé, le Planet-Score valorise davantage les démarches extensives et bio, moins dommageables pour la biodiversité, tandis que l’Éco-Score donne l’avantage aux productions intensives qui dégagent moins de gaz à effet de serre par kilo d’aliment.

Entre les deux, l’Ademe aurait dû faire figure de juge de paix. L’agence publique pilote l’expérimentation chargée de déterminer la méthode de calcul la plus pertinente pour le futur score, attendu d’ici à la fin de 2023. Pour cela, elle pourrait piocher dans les propositions les plus intéressantes des deux scores en lice, et si besoin y ajouter d’autres indicateurs. Mais au fil du temps, elle a semblé soutenir l’Éco-Score de plus en plus visiblement, et de façon de moins en moins objective. Au point que les porteurs du Planet-Score se sont interrogés.

Le terme « Éco Score » propriété de l’Ademe

Et ils ont découvert quelques éléments qui questionnent à tout le moins l’impartialité de l’Ademe. De fait, cette dernière a déposé le terme « Éco Score » en 2020 auprès de l’Institut national de la propriété industrielle (Inpi). Un an après, les entreprises Yuca et Eco2 Initiative ont créé le terme « Éco-Score », ajoutant simplement un tiret. La nuance est subtile, et imperceptible pour les consommateurs. Les acteurs privés promoteurs de l’Éco-Score utilisent donc une marque nationale dans leur communication. Et l’Ademe, mais aussi le ministère de la Transition écologique, mentionnent ce même terme pour promouvoir le futur affichage environnemental. Un joyeux mélange.

Un terme réservé au bio

Malheureusement pour eux, l’utilisation du terme « éco » pourrait bien leur être interdite… Car les diminutifs « éco » et « bio » sont strictement réservés aux seuls produits issus de la production biologique, d’après le règlement européen n° 2018/848 de 2018. L’utilisation du terme « éco » faite par l’Ademe, le ministère de la Transition écologique, Yuca et les autres enfreint donc la loi européenne, estiment l’Ifoam Organics Europe, émanation européenne de la Fédération internationale de la bio, et ses adhérents français. Le nom « Éco-Score » s’avère par conséquent « trompeur » pour le consommateur. « Au lieu de lutter contre le greenwashing, des systèmes d’étiquetage comme l’Éco-Score y contribuent en étant susceptibles de tromper les consommateurs sur la nature bio ou non bio des produits alimentaires sur lesquels ils sont affichés, et en favorisant les produits issus de l’agriculture intensive », s’inquiète Jan Plagge, président d’Ifoam Organics Europe.

Forte de ces constats, l’Ifoam Organics Europe, ainsi que l’Association française des adhérents de l’Ifoam, ont déposé une requête en assignation devant le tribunal judiciaire de Paris pour « faire cesser l’usage » de ce terme. Si cette démarche aboutit, et si le tribunal donne raison à l’Ifoam, l’Éco-Score devra être rebaptisé et relooké très vite.

Prendre son temps

Les tensions ne sont pas passées inaperçues aux yeux des deux députés chargés de mener une mission parlementaire sur la loi climat, Sylvain Carrière et Laurence Maillart-Méhaignerie. Dans leur rapport publié le 11 janvier, ils évoquent « les réserves de certaines associations de protection des consommateurs quant à la possibilité d’établir un outil réellement neutre ». Face aux « controverses », les élus recommandent donc de « ne pas précipiter le calendrier ». Il est regrettable d’en être arrivé là, ces bras de fer retardant la mise en place d’un affichage environnemental officiel, malgré les attentes exprimées par les consommateurs et l’urgence écologique.