Risque de sécheresse cet été – L’UFC-Que Choisir exige un véritable plan de préservation des ressources en eau
Alors que 71 départements subissent déjà des restrictions en eau, l’UFC-Que Choisir dénonce la faiblesse des mesures proposées par le Gouvernement face à la raréfaction de la ressource. Souhaitant garantir la pérennité de l’approvisionnement en eau des consommateurs, l’Association réclame la mise en œuvre du principe préleveur-payeur dans les redevances payées par l’agriculture intensive, une réorientation des aides de la PAC vers les modes de productions les plus économes en eau, ainsi qu’une aide à la rénovation des réseaux d’eau les plus concernés par les fuites.
L’été débute à peine que les prélèvements dans les nappes phréatiques ou les rivières sont déjà limités pour les usages agricoles, professionnels ou privés dans 42 départements sur tout ou partie des territoires. Pire, dans 29 départements on recense des zones en situation de crise où les prélèvements sont totalement interdits et réservées aux seuls usages prioritaires, essentiellement la production d’eau potable (1). L’impact du réchauffement climatique sur les ressources en eau est désormais manifeste et rend inéluctable, si rien n’est fait, la multiplication des crises à l’image de l’été dernier où plus de 1 000 communes ont été ravitaillées en eau potable.
Face à l’urgence, le Gouvernement a lancé un plan d’action (2) visant d’une part à engager des changements des pratiques de la part des professionnels et d’autre part à réduire les gaspillages en eau. L’analyse détaillée montre qu’il s’agit essentiellement de mesurettes ou d’annonces qui resteront sans d’effet en l’absence de mesures contraignantes ou budgétaires à la hauteur de l’enjeu climatique.
L’eau en « open bar » pour l’agriculture intensive
Le Gouvernement appelle les professionnels, notamment les agriculteurs, à modifier leurs pratiques pour une utilisation plus durable de la ressource. De fait, alors que la production d’eau potable équivaut à 26 % des consommations nettes d’eau en France, l’agriculture intensive représente pas moins de 58 % des consommations (3). En été, sa ponction dans la ressource représente jusqu’à plus de 90 % des consommations pour les départements de la façade atlantique et du Sud-Ouest (4), notamment du fait de la prépondérance du maïs dont les besoins en eau, à la différence des autres grandes cultures, sont concentrés entre juillet et août.
Part de la consommation agricole dans la consommation estivale en eau
Office Français de la Biodiversité – 2020
Mais à rebours du principe de sobriété prôné par le Gouvernement et les experts, la Cour des comptes dénonce dans le rapport (5) qu’elle vient de publier, l’augmentation incontrôlée des prélèvements d’eau destinés à l’irrigation qui ont plus que doublé (+ 118 %) entre 2010 et 2020. La Cour regrette également que dans les instances locales de gestion de l’eau les autorisations de prélèvements accordées aux irrigants se fondent trop souvent sur des prélèvements historiques qui ne tiennent aucun compte de la raréfaction récente des ressources en eau. Pire, beaucoup d’agriculteurs ne déclarent pas les volumes d’eau considérables prélevés dans les cours d’eau ou les nappes phréatiques. Par exemple la moitié des 20 000 irrigants du bassin Adour-Garonne ne font aucune déclaration.
Sans incitations financières majeures, la transition agricole restera un vœu pieux
Au vu de l’incapacité de l’agriculture intensive à se réformer, de nombreux rapports dont ceux du ministère de l’Environnement, du ministère de l’Agriculture et de la Cour des comptes appellent à un changement complet de modèle agricole, plus économe en eau (6). Mais en l’absence de véritable incitation financière à accomplir la transition écologique, il n’y a aucune chance que l’agriculture intensive renonce à ses pratiques aussi polluantes que dispendieuses en eau. Les bien maigres 30 millions euros mis sur la table par le Gouvernement à cet effet n’auront aucun impact alors qu’ils représentent à peine un pour cent des aides annuelles reçues par les agriculteurs dans le cadre de la Politique Agricole Commune (PAC). Quant au verdissement tant attendu de la PAC, il n’est que de façade puisque les aides ne sont conditionnées à aucune baisse des prélèvements en eau, voire encouragent certaines cultures nécessitant un fort apport en eau telles que le maïs.
Enfin, les sommes versées par les agriculteurs en contrepartie de leurs prélèvements en eau ne constituent qu’une bien faible incitation à réduire les prélèvements. En effet, elles ne représentent selon les régions que 2 % à 15 % du total des redevances pour prélèvements perçues par les agences de l’eau, l’essentiel de la note (entre 51 % et 82 %) étant payé par les consommateurs.
Au niveau des collectivités, les fuites des canalisations, seule vraie source de gaspillage
Le plan gouvernemental insiste sur la responsabilité des consommateurs dans les économies à réaliser (privilégier les douches aux bains, installer des équipements sanitaires économes en eau, faire fonctionner les appareils de lavage à plein…). Mais les consommateurs n’ont pas attendu ces recommandations pour diminuer d’eux-mêmes leurs consommations depuis près de vingt ans (7), incités en cela par un prix de l’eau qui a augmenté de 44 % sur la même période (8).
Au rayon des mesurettes, la réutilisation des eaux usées par les collectivités et de l’eau de pluie par les consommateurs sont présentés comme de nouveaux gisements à exploiter qui seraient gaspillées du fait de leur rejet dans la nature. Dans certains cas cela permettrait certes de remplacer l’eau potable par une eau moins chère car non traitée, mais cela ne diminuerait en rien les prélèvements globaux en eau, sans parler du coût rédhibitoire des canalisations spécifiques que nécessitent ces solutions pour des volumes assez modestes.
En réalité, le véritable gaspillage se trouve avant que l’eau n’arrive au robinet du consommateur. Comme le révèle la récente étude publiée par l’UFC-Que Choisir, pas moins d’un litre sur 5 est perdu dans les fuites des canalisations, ce qui représente pour la France les consommations cumulées de Paris, Lyon, Marseille, Lille, Toulouse, Bordeaux et Nice ! Mais alors que 2,5 à 3 milliards d’euros seraient nécessaires chaque année pour renouveler les canalisations, seulement 180 millions d’euros sont prévus par le plan eau !
Refusant que le plan eau s’en tienne à quelques annonces sans effet, l’UFC-Que Choisir somme le Gouvernement de mettre en œuvre des mesures réellement efficaces pour économiser la ressource et notamment :
- Une véritable mise en œuvre du principe préleveur – payeur pour l’agriculture intensive dans le cadre de la réforme des redevances des agences de l’eau prévue pour 2024 ;
- Une réorientation des aides de la PAC vers les modes de productions les plus économes en eau ;
- Une aide à la rénovation des réseaux d’eau potables dans les petites communes les plus concernées par la raréfaction de l’eau.
Notes
(1) Site Propluvia consulté au 26 juillet 2023 – Ministère de la transition écologique.
(2) 53 mesures pour l’eau – Plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau – 30 mars 2023.
(3) 53 mesures pour l’eau – Plan d’action pour une gestion résiliente et concertée de l’eau – 30 mars 2023.
(4) Eau et milieux aquatiques, Les chiffres clés – Office Français de la biodiversité – 2020.
(5) La gestion quantitative de l’eau en période de changement climatique – Exercices 2016-2022 – Cour des comptes – 17 juillet 2023.
(6) Rapport n°19056, ‘Changement climatique, eau, agriculture, quelles trajectoires d’ici 2050 ?’ – CGEDD et CGAAER – Juillet 2020.
(7) Alors que la consommation individuelle était de 165 litres d’eau potable par jour et par personne en 2004, elle est actuellement de 148 litres, soit une diminution de 10 % – Rapport national de l’Observatoire des services publics d’eau et d’assainissement – Panorama des services et de leurs performances en 2021 – Juin 2023 et Institut français de l’environnement 2007.
(8) Le prix moyen du mètre cube d’eau était de 3,01 € en 2004. Il est de 4,34 € actuellement – ‘La facture d’eau domestique en 2004’ – Institut Français de l’environnement – 2004 et ‘Panorama des services publics d’eau et d’assainissement’ – Office Français de la biodiversité – Juin 2023.