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Sécurité sanitaire des aliments : les contrôles changent de crèmerie au détriment des consommateurs

La surveillance de la qualité de nos aliments serait transférée du ministère de l’Économie vers celui de l’Agriculture. Une privatisation partielle des contrôles et des analyses est envisagée, et les moyens humains ne seraient pas renforcés.

En pleins scandales Buitoni et Kinder, l’annonce laisse perplexe : les missions de contrôle et d’analyses de nos denrées alimentaires seront transférées dès 2023 du ministère de l’Économie au ministère de l’Agriculture – plus précisément de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) à la Direction générale de l’alimentation (DGAL). C’est par un mail interne, envoyé le mercredi 11 mai à 19 h 50, que la directrice générale de la DGCCRF, Virginie Beaumeunier, a informé les personnels de la DGCCRF.

Une décision qui « sonne comme une sanction » à l’heure où les agents gèrent l’alerte Buitoni, déplore la CFDT-CCRF. Le syndicat redoute que ce transfert de missions ne soit que le début d’un « dépeçage » de la DGCCRF par d’autres administrations.

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Le syndicat Solidaires de la DGCCRF a été le premier a lancer l’alerte sur Twitter.

Une annonce en pleine crise des pizzas Buitoni et des œufs Kinder

Ce projet est évoqué depuis 2018, parmi d’autres scénarios, pour mettre en place « une police unique de la sécurité sanitaire des aliments qui permettra de simplifier l’action publique et de renforcer, d’une part, la sécurité sanitaire de nos aliments (assurée par le ministère de l’Agriculture – services vétérinaires) et, d’autre part, la lutte contre les fraudes économiques (réalisée par le ministère de l’Économie ‒ DGCCRF) », explique le ministère de l’Agriculture, interrogé par Que Choisir. Il précise que « cette réforme n’est pas encore finalisée » et que « les discussions se poursuivent ».

Mais ce transfert se profile aujourd’hui sans négociation ni concertation, déplore le syndicat Solidaires CCRF & SCL. Et il est annoncé avec un étrange sens du timing : la décision a été validée lors d’une réunion entre le Premier ministre et les ministres de l’Économie et de l’Agriculture, à quelques jours de la démission du gouvernement ‒ comme un cadeau de départ de la part de Bruno Le Maire à son collègue Julien Denormandie. Surtout, elle intervient en pleine crise sanitaire liée aux contaminations des pizzas Buitoni par des bactéries E. coli et des œufs Kinder par des salmonelles. Or, le ministère de l’Agriculture est réputé nettement plus souple à l’égard des industries de l’agroalimentaire que celui de l’Économie.

Privatisation des contrôles

L’objectif invoqué est louable : il veut améliorer une répartition des contrôles « inutilement complexe » entre la DGAL et la DGCCRF, ainsi que « l’efficience et la lisibilité du dispositif », pour dégager des « gains de productivité ». Mais s’il s’accompagne du transfert de 60 postes de la DGCCRF vers la DGAL, il n’évoque aucune montée en puissance globale, seule à même d’améliorer vraiment la qualité du travail de surveillance menée par les agents de ces directions, alors que les syndicats alertent depuis des années sur le manque chronique d’effectifs.

Derrière, se profile une proposition de « déléguer » une partie des contrôles et des analyses au profit de bureaux d’études et de laboratoires privés ‒ avec les risques induits de conflits d’intérêts et de manque de transparence, ces acteurs pouvant également travailler pour les entreprises de la chaîne alimentaire.

L’intérêt pour les consommateurs n’est donc pas flagrant. Si l’État veut améliorer la surveillance sanitaire des aliments, il pourrait commencer par remettre en question le dispositif de surveillance via les autocontrôles réalisés par les entreprises, qui montrent régulièrement leurs limites. Les affaires Spanghero, Lactalis et plus récemment Castel Viandes sont là pour nous le rappeler…

Les missions de chacun

La DGCCRF assure le contrôle des filières végétales au niveau des transformateurs, ainsi que l’ensemble des contrôles à la commercialisation (commerces de vente et restauration). Elle est aussi chargée des contrôles sur la qualité des produits et la loyauté des transactions (étiquetage, fraudes, non-respect de cahiers des charges pour les signes officiels de qualité…).

La DGAL assure le contrôle sanitaire des productions animales et végétales au niveau des exploitations agricoles et des abattoirs. Elle réalise également les contrôles chez les transformateurs de produits animaux (laiteries, découpe et transformation de viande, etc.).

Avec le transfert de compétences, la DGAL s’occuperait de l’ensemble de la sécurité sanitaire des aliments, animaux et végétaux, depuis la ferme jusqu’aux grandes surfaces et les restaurants. Elle gérerait également les alertes et les retraits-rappels. La DGCCRF conserverait ses compétences concernant la lutte contre la fraude, la qualité des produits et la loyauté des transactions.

Pour les cas particuliers (allergènes, additifs, arômes, auxiliaires technologiques, matériaux au contact des denrées, ingrédients ionisés et OGM), qui relèvent aujourd’hui de la DGCCRF, leur sort n’est pas encore tranché.