Pesticides dangereux : des interdictions encore repoussées
L’interdiction de pesticides présentant des risques pour la santé ou l’environnement prend du temps. Beaucoup de temps. Alors que l’autorisation de 45 substances devait expirer cet automne, leur utilisation a finalement été prolongée d’un an, la Commission européenne n’ayant toujours pas réussi à choisir entre renouvellement ou interdiction. Certaines d’entre elles sont pourtant particulièrement dangereuses.
Encore une année de gagnée pour le glyphosate ? Le sort de cet herbicide, suspecté d’être cancérogène et perturbateur endocrinien, aurait dû être tranché avant le 15 décembre de cette année. Mais le choix de renouveler son autorisation ou de l’interdire pourrait finalement être repoussé à la fin 2023, afin de laisser le temps à l’Autorité européenne de sécurité des aliments (Efsa) de terminer son évaluation du risque. Les opposants à ce produit ont bruyamment alerté sur les conséquences d’un tel report, mais se sont beaucoup moins fait entendre sur un autre événement tout aussi important : la prolongation, il y a seulement quelques semaines, de l’utilisation de dizaines d’autres pesticides toxiques, dont l’autorisation arrivait à échéance.
En septembre, la Commission européenne a en effet reporté d’un an son choix de renouveler ou non l’autorisation de 45 produits phytosanitaires, parmi lesquels dix sont suspectés d’être cancérogènes ou reprotoxiques (c’est-à-dire pouvant nuire à la fertilité ou aux enfants à naître) et une vingtaine présentent des signes de possible perturbation endocrinienne, voire sont des perturbateurs endocriniens avérés.
Un insecticide à « risque élevé »
La clofentezine fait partie de cette dernière catégorie. Cet acaricide, dont nous avons récemment révélé l’existence de traces sur des framboises commercialisées en France, est reconnu depuis août 2021 par l’Efsa comme perturbateur endocrinien. Les experts évoquent notamment un « point critique de préoccupation » pour la santé humaine et un « risque élevé » pour la reproduction des oiseaux et mammifères.
Alors que le règlement européen est très clair sur le fait que les pesticides présentant ce type de risque doivent être interdits, pourquoi, donc, repousser d’un an cette décision ? Interrogée, la Commission européenne invoque, sans plus de détail, « la complexité du dossier », et nous renvoie aux comptes-rendus de réunion de son comité technique. Mais la lecture attentive de ces derniers ne nous a malheureusement pas plus éclairés sur les causes de ce report.
Au contraire, on y découvre que, dès janvier 2022, la Commission admettait qu’une interdiction s’imposait. Seule exception possible : que soit démontrée la nécessité du produit « pour contrôler un danger phytosanitaire grave qui ne peut être maîtrisé par d’autres moyens disponibles ». Et encore, une telle dérogation, si elle était accordée, ne pourrait l’être que pour cinq ans maximum, et ne devrait probablement concerner que « les cultures sous serre de produits non comestibles », précise la Commission. Or, aucun élément de preuve justifiant une telle dérogation n’a par la suite été apporté. Le choix de prolonger d’un an l’utilisation de ce produit dangereux afin de se laisser le temps de « poursuivre les discussions » demeure donc particulièrement surprenant.
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Le Parlement alerte
Pour beaucoup d’autres pesticides, le report de la décision s’explique, non par les tergiversations de la Commission, mais par le retard pris par l’Efsa elle-même dans sa réévaluation des risques (cette analyse étant indispensable, en Europe, pour décider de l’avenir d’une substance). Or ces retards bénéficient systématiquement aux producteurs de pesticides dangereux, en repoussant d’autant l’interdiction de leurs produits. Ce qui pourrait encourager ces derniers à « prolonger volontairement le processus de réévaluation en fournissant des données incomplètes », alertent les députés européens, dans une résolution votée en octobre 2022. Ces derniers ont donc appelé la Commission à appliquer le « principe de précaution » et à abroger la directive prolongeant l’autorisation de la clofentezine et de 44 autres substances.
Ces reports sont cependant loin d’être une première. La fédération d’associations PAN Europe, qui lutte contre les pesticides au niveau européen, en a recensé plus d’une centaine depuis 2011. En juillet dernier, elle a engagé une action auprès de la Cour de justice européenne contre ce qu’elle qualifie de « maladministration » menée « au profit de l’agribusiness ».