Alimentation bio : la filière sous tension après plusieurs années de folle croissance
Conséquence de l’inflation, les achats de produits bio reculent dans les supermarchés, au risque de fragiliser toute la filière. Le soutien des pouvoirs publics reste insuffisant.
La fête est finie… Après plusieurs années de croissance à deux chiffres, la filière bio bute sur le mur de l’inflation. Depuis plusieurs mois, les consommateurs délaissent ce label pour se tourner vers des produits moins onéreux. « C’est difficile, en particulier pour les filières d’élevage et les fruits et légumes, reconnaissait l’un des acteurs de la filière, en marge des Assises du bio, le 6 décembre dernier à Paris. Et l’année 2023 sera compliquée… »
Du ménage dans l’offre…
Même si la hausse des prix s’est avérée moins forte qu’en conventionnel (le bio étant moins exposé aux aléas du marché mondial), les tarifs atteints sont dissuasifs pour une partie de sa clientèle. Depuis des mois, les consommateurs délaissent donc ce label, pour se rabattre sur les aliments premiers prix et les marques de distributeurs, et les enseignes n’ont pas hésité à retirer des linéaires une partie de l’offre en bio pour laisser davantage de place aux promotions. Une partie des distributeurs met aussi à profit ce reflux pour faire le ménage dans une offre bio devenue pléthorique, et retirer les références qui se vendent mal. Or, qui dit moins d’offres, dit moins d’achats.
Moins visibles, plus chers… La sanction a été immédiate : en grandes surfaces traditionnelles, les achats de produits bio ont décroché dès 2021. Le recul s’est accentué progressivement, pour atteindre -10,8 % en octobre 2022 par rapport à 2021, selon l’Institut d’analyse des marchés Iri (1). Dans les enseignes spécialisées bio, c’est même le plongeon à -16 %. À ce train, des fermetures de magasins sont inévitables… Quoique tous les réseaux ne souffrent pas autant. Ainsi, Pierrick De Ronne, président de la coopérative Biocoop, souligne que si le panier moyen a reculé de 3 % dans le réseau Biocoop, la fréquentation a crû de 1,2 %, un « signal faible mais positif ».
… et une concurrence déloyale
Le prix n’est pas la seule explication. « Depuis dix ans, des alternatives non bio, mais pas non plus conventionnelles, et qui sont moins chères, sont apparues, a souligné Dominique Schelcher, directeur général de Système U, lors des Assises du bio. Suite au Covid, et aux inquiétudes sur l’approvisionnement, la production locale est devenue un critère fondamental. » On peut citer aussi le lancement du label HVE (Haute valeur environnementale) et les « sans résidus de pesticides » ou « zéro pesticide », qui semblent offrir les mêmes protections que le bio vis-à-vis des traitements de synthèse, alors que ce n’est pas le cas sur les pollutions environnementales.
Pour Marine Giraud, responsable marketing chez Naturalia, c’est surtout cette « confusion des labels, à la sortie du Covid, notamment avec l’essor du local non bio » qui est à l’origine de la crise, que l’inflation n’a fait qu’amplifier. Emily Mayer, directrice Business Insights chez Iri France, confirme que « les consommateurs sont perdus face à la multiplication des logos, ce qui induit une perte de confiance ».
Mettre en avant les intérêts du bio
Les acteurs de la filière font aussi leur introspection. Jusqu’à présent, le débouché était assuré. Désormais, ils doivent aller plus loin dans la cohérence de leur offre (moins d’import, moins d’emballages, moins de produits ultratransformés, davantage de goût…). Et développer une communication plus claire et offensive. « L’accessibilité et la compréhension des bénéfices d’une alimentation bio sont des entraves au développement du bio », souligne Marine Giraud.
En attendant des jours meilleurs, les acteurs de la filière font donc le dos rond. Pour autant, hors de question de baisser les bras. Pierrick De Ronne vise un objectif de 10 à 12 % de la consommation en bio une fois le mauvais cap franchi. « Même si actuellement, c’est très violent, on a connu d’autres crises ! », rappelle-t-il. Mais les fondamentaux sont solides. « En ce moment, on parle beaucoup de prix et de pouvoir d’achat, confirme Emily Mayer. Mais les idéaux sont toujours là : la santé, l’environnement et l’écosystème local. Les consommateurs y reviendront quand ça ira mieux. Il faut garder un œil sur ce qui structurera la consommation de demain. » Lors des Assises du bio, il a largement été rappelé à quel point le bio est l’un des outils indispensables face à la crise climatique et l’effondrement de la biodiversité. Reste à faire passer le message aux consommateurs.
Un soutien modeste de l’État
Face à l’incertitude actuelle, les conversions en bio sont plus ou moins à l’arrêt. Mais le principal danger pour la filière, ce sont les « déconversions » d’agriculteurs qui abandonnent le bio pour revenir au conventionnel. « Et ça, il faut à tout prix l’éviter, car ils ne reviennent jamais au bio », redoute un acteur de la filière. Malheureusement, le soutien du ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, est plus que tiède. S’il a bien annoncé des rallonges pour la promotion et la structuration de la filière, lors des Assises du bio, l’aide est incomparablement plus faible que pour les autres secteurs en difficulté.
Ce manque de volonté est d’autant plus flagrant, que le récent rapport de la Cour des comptes énumère les solutions à mettre en place pour renforcer le bio.
Lire aussi
(1) Les ventes concernent les produits de grande consommation (alimentaire, hygiène, beauté, droguerie), incluant le frais en libre-service.