Déforestation importée : l’Union européenne veut interdire les importations destructrices
Les entreprises qui importent de l’huile de palme, du soja, du café, du cacao, du bois, du caoutchouc ou du bœuf en Europe devront s’assurer que ces produits ne proviennent pas de zones déforestées. Le futur règlement européen apparaît comme une réelle avancée pour la protection de l’environnement, mais il pourrait s’avérer inefficace. Explications.
Les Européens s’attaquent enfin à l’impact de leur consommation sur la déforestation dans d’autres régions du monde. Le 6 décembre dernier, le Parlement européen et le Conseil de l’Europe se sont accordés sur un futur règlement (1) visant à lutter contre la déforestation importée. Le texte cible l’huile de palme, le bœuf, le soja, le café, le cacao, le bois (y compris le charbon de bois) et le caoutchouc, qui contribuent pour une large part à la disparition des forêts tropicales et équatoriales. On peut regretter que le maïs et le biodiesel n’aient pas été inclus dans la liste (la France n’y était pas favorable), mais cette exemption devrait être réévaluée.
À l’avenir, les entreprises devront s’assurer (obligation dite « de diligence stricte ») que les produits qu’elles importent et commercialisent dans l’Union européenne (UE) ne contribuent pas à la destruction ou à la dégradation des forêts. Pour cela, elles seront tenues de « collecter les coordonnées géographiques des terres » sur lesquelles sont cultivés les produits qu’elles commercialisent, afin de s’assurer que « seuls les produits zéro déforestation entrent sur le marché de l’UE », explique la Commission. Les pays seront classés selon le risque de déforestation (élevé, standard, faible) et les importations seront contrôlées plus ou moins fréquemment selon ce niveau de risque.
Cette loi, une première mondiale, a suscité des réactions enthousiastes des négociateurs, ainsi que des défenseurs de l’environnement. Il est en effet urgent d’agir pour protéger ces milieux naturels fragiles. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), 420 millions d’hectares de forêts, soit environ 10 % des forêts du monde, ont disparu entre 1990 et 2020. C’est davantage que la surface de l’UE…
Des lacunes à combler
Certes, l’initiative européenne va dans le bon sens, mais elle souffre de plusieurs limites. Tout d’abord, des lacunes en affaiblissent la portée :
- les institutions financières sont dispensées de s’assurer que leurs investissements ne contribuent pas à la déforestation ;
- la protection des populations autochtones est très insuffisante ;
- seules les forêts sont concernées, alors qu’il faudrait aussi englober d’autres terres boisées à haut niveau de biodiversité ou de stockage de carbone, comme le Cerrado brésilien, la brousse, la savane ou les tourbières ‒ Bruxelles devra en décider dans un délai d’un à deux ans après l’entrée en vigueur de la loi.
Des productions illégales « blanchies »
Par ailleurs, cette loi dépend de la façon dont elle sera appliquée dans les pays d’origine des produits. François-Michel Le Tourneau, géographe au CNRS, illustre ces difficultés avec le cas brésilien. Ainsi, comment associer telle carcasse de viande ou telle cargaison de soja à une parcelle donnée, alors même qu’une « grande partie de la déforestation qui se produit au Brésil, en particulier en Amazonie, est déjà illégale ? Les produits qui en proviennent sont déjà interdits. S’ils sont mis sur les marchés, c’est en se dissimulant, notamment en faisant croire qu’ils proviennent de régions où ils seraient légaux », notamment via de faux certificats, explique le chercheur sur le site d’information The Conversation.
Autre problème, la date de référence qui a été retenue : les parcelles déforestées avant fin 2019 ne sont pas interdites, ce qui signifie que seulement « 4,3 % de l’espace agricole amazonien seraient interdits d’exportation dans l’UE à l’heure actuelle ».
Des pays peu regardants
Mais l’écueil le plus sérieux est la séparation des exportations en deux marchés :
- le premier débouché à destination de l’UE, issu de terres conformes aux exigences européennes ;
- et le deuxième débouché, provenant de zones déforestées récemment et destiné aux pays peu regardants sur les conditions environnementales, à l’instar de la Chine.
Or, cette dernière constitue désormais le principal client du Brésil, important 70 % de ses graines de soja, 56 % de sa viande bovine et 43 % de ses tourteaux de soja. L’UE, quant à elle, n’importe que 14 % du soja et 9 % de la viande brésiliens – et tout de même 45 % du tourteau. Elle n’est donc pas, et de loin, le principal marché du géant latino-américain. Si ses autres clients ne se préoccupent pas de déforestation, alors l’impact de cette réglementation restera limité, souligne François-Michel Le Tourneau.
Avec cette future loi, l’UE fait un grand pas dans la lutte contre la déforestation. Mais il serait tout aussi pertinent qu’elle verse un paiement pour services environnementaux aux producteurs locaux qui ne défrichent pas. Et qu’elle travaille à réduire sa propre consommation, avant d’imposer des conditions aux autres pays…
En France, des initiatives pour le cacao et le soja
La France avait adopté une Stratégie nationale de lutte contre la déforestation importée (SNDI), en décembre 2018, qui ciblait les mêmes productions. La loi Climat de 2021 a gravé cet engagement dans le marbre. La filière cacao a déjà commencé à plancher sur ses pratiques, en lançant en octobre 2021 une Initiative française pour un cacao durable (IFCD). Les industriels, fabricants d’aliments et importateurs de produits liés au soja avaient pour leur part publié un « Manifeste pour une mobilisation des acteurs français pour lutter contre la déforestation importée liée au soja » en 2020. Mais entre les déclarations d’intention sur le papier et une réelle efficacité sur le terrain, la marche est parfois très haute. Les limites de la future loi européenne évoquées ci-dessus concernent également ces initiatives.
Lire aussi
(1) La loi devrait entrer en vigueur courant 2023, pour s’appliquer aux grandes entreprises 18 mois après, et aux petites entreprises 24 mois après.